Copyright holder: Tyndale University, 3377 Bayview Ave., Toronto, Ontario, Canada M2M 3S4 Att.: Library Director, J. William Horsey Library Copyright: This Work has been made available by the authority of the copyright owner solely for the purpose of private study and research and may not be copied or reproduced except as permitted by the copyright laws of Canada without the written authority from the copyright owner. Copyright license: Attribution-NonCommercial-NoDerivatives 4.0 International License Citation: Kessler, John. “'T (le temps) en Aggée I 2-4: conflit théologiques ou “sagesse mondaine”?” Vetus Testamentum 48, no. 4 (October 1998): 555-559. ***** Begin Content ****** TYNDALE UNIVERSITY 3377 Bayview Avenue Toronto, ON M2M 3S4 TEL: 416.226.6620 www.tyndale.ca Note: This Work has been made available by the authority of the copyright owner solely for the purpose of private study and research and may not be copied or reproduced except as permitted by the copyright laws of Canada without the written authority from the copyright owner. Kessler, John. “'T (le temps) en Aggée I 2-4: conflit théologiques ou “sagesse mondaine”?” Vetus Testamentum 48, no. 4 (October 1998): 555-559. [ Citation Page ] SHORT NOTES 'T (LE TEMPS) EN AGGÉE I 2-4: CONFLIT THÉOLOGIQUE OU “SAGESSE MONDAINE”? En Ag. i 2 Yahvé s’en prend à son peuple au sujet de son inac- tivité face à la réédification du temple de Jérusalem. L’année est 520 av. notre ère. Yahvé, par son porte-parole Aggée, commence son reproche en citant l’opposition du peuple1 par rapport à ce projet, si cher à Yahvé. “Ce peuple2 dit (et il s’agit d’une conviction réfléchie et maintenue),3 ce n’est pas le moment de venir,4 le moment pour la maison de Yahvé d’être reconstruite”5 (Ag. i 2). Mais quelle était la base de cette conviction? Le mot clé est "t (le temps, le moment) répété trois fois (v. 2, 4). Une ligne d’interpréta- tion maintient que ce mot implique, chez le peuple, des considérations d’ordre théologique ou eschatologique. Le refus du peuple d’entamer le projet est dû à sa conviction que l’ère messianique doit être inau- gurée avant que le chantier ne soit ouvert. Il est intéressant de voir les grandes lignes du développement de cette hypothèse. En 1889, Wellhausen a suggéré que deux notions théologiques se heurtaient en Ag. i. Au sein de la communauté il y avait, d’un côté, ceux qui voy- aient la réédification du temple comme une démarche essentielle et préalable à la venue de l’ère messianique et, de l’autre, ceux qui croy- aient plutôt que la réfection du temple en serait le fruit.6 L’idée fut reprise par E. Janssen dans son ouvrage de 1956.7 Cependant, ni l’un ni l’autre ne cherchèrent à identifier chaque tendance avec un groupe- ment particulier de la population. En 1971, O.H. Steck attribua à la population non-exilée le désir de reporter le projet de réfection du temple.8 Un an plus tôt, cependant, R.G. Hamerton-Kelly avait essayé de rattacher les deux prises de position opposées, non à des groupe- ments démographiques, mais sociologiques et théologiques au sein de la communauté des rapatriés.9 Partant du travail de von Rad10 et Plöger,11 Hamerton-Kelly a identifié les partisans de la reconstruction immédiate avec le groupe sacerdotal,12 lequel s’était inspiré de la per- spective théologique du Deutéronome.13 Ses opposants suivaient les vues eschatologiques d’Ezéchiel.14 Le travail de P.D. Hanson15 représente l’essai le plus récent et le plus complet de ce genre. Fait ironique: Hanson situe l’opposition théologique (à la différence de Hamerton- [ Page ] 556 Kelly) entre la coalition sacerdotalo-ézéchiélienne (dont la majorité sont des rapatriés), d’un côté, et l’amalgame des disciples du Deutéro-Esaie et des lévites déshérités (dont la plupart sont, d’après Hanson des non- exilés),16 de l’autre.17 D’après Hamerton-Kelly, Aggée aurait proposé un compromis théologique entre les deux camps. Pour Hanson, Aggée serait devenu un pion manoeuvré par le groupe sadocide.18 Plus récem- ment encore P.R. Bedford19 a proposé que le conflit se situait entre la quasi-totalité de la communauté et Aggée (et Zacharie). Faute d’indices que la situation avait changée, les Judéens croyaient que la colère divine restait toujours sur le pays. Le devoir de la communauté était d’attendre des signes qui lui indiqueraient le moment de reconstruire. Aggée et Zacharie ont reformulé la théologie officielle pour autoriser la réédification avant que les signes attendus ne soient accomplis. Ces approches d’Ag. i 2-4 nous paraissent inexactes pour plusieurs raisons,20 mais surtout en ce qui concerne la compréhension du mot 7. Il est tout à fait juste de dire que 't peut faire allusion à une époque ou un moment fixé par Yahvé pour l’accomplissement d’un but pré- cis (Ps. cii 14; Is. lx 22; Jr. xlvi 21; 1 27, 31). Cependant cette nuance cadre mal avec le contexte d’Ag. i 2-11. Au v. 4 Aggée reformule la conviction du peuple exprimée au v. 2, sous forme de question rhé- torique. Il leur demande: “Est-ce le moment pour vous, vous-mêmes, d’habiter dans vos maisons lambrisées alors que cette maison est en ruine?”. Cette question et l’invective qui la suit ne trahit aucune réplique aux convictions idéologiques ou eschatologiques de son auditoire.21 Le débat est surtout d’ordre pratique. La nuance du mot-clé 7 qui nous paraît plus convenable ici et au v. 2 est plutôt celle du “moment pro- pice pour une activité quelconque”.22 La notion du “moment propice” est un thème profondément enra- ciné dans la tradition sapientielle.23 Fréquemment l’infinitif construit qui suit 7 fonctionne en tant que génitif et décrit l’activité pour laquelle le temps était propice.24 La traduction “le moment n’est pas venu, le moment pour la maison de Yahvé d’être reconstruite” (Ag. i 2) obscurcit le sens et l’orientation sapientielle de l’affirmation du peuple en faisant de 7 (le temps) le sujet de bw' (venir). Le sujet est plutot le peuple (comme en i 15) qui s’exprime sur son appréciation du temps. La traduction de Barthélemy, “ce n’est pas le moment de venir”, est à préférer.25 Cette orientation sapientielle est apparente dans plusieurs textes qui portent la même construction. En Qo. iii 2-8 par exemple, il est ques- tion d’un temps pour enfanter ('t lldt), mourir ('t lmwt), planter ('t It't), [ Page ] 557 arracher ('t 1‘qwr) etc, Gn. xxix 7 fournit ici un bon parallèle: “Voici, il est encore grand jour, et il n’est pas temps de rassembler (l' ‘t h’sp) les troupeaux”. Autrement dit, à cause des conditions extérieures le moment n’est pas propice pour rassembler. Dans chaque cas ‘t ne fait pas allusion à un jugement divin. Le mot implique plutôt une évaluation humaine qui répond à la question “l’activité envisagée, serait-elle com- mode, normale ou propice sous les circonstances qui existent?”. En d’autres mots, il s’agit d’un jugement sapientiel sur l’emploi du temps. Qui plus est, la sagesse d’un tel jugement peut être remise en cause. Citons à titre d’exemple la question rhétorique d’Elisée à Guéhazi “Est-ce le temps de prendre ('t lqht) de l’argent, de prendre vêtements, oliviers, vignes, brebis et boeufs, serviteurs et servantes?” (2 R. v 26). La syntaxe d’Ag. i 4 est presque identique. Aggée, comme Elisée, remet en cause le jugement du peuple, sur une question pratique dont la réponse exige la sagesse. En d’autres termes, le peuple se dit (ou plus précisément, le rédacteur du livre présente au lecteur l’image d’un peu- ple qui dit): “il est clair, d’après les circonstances extérieures (séche- resse, disette, moissons décevantes, v. 5-11), que la sagesse exige la mise en veilleuse du projet de construction”. C’est à cette prise de position que s’oppose le prophète, à partir du v. 3.26 Le coeur du reproche d’Aggée est donc ceci: se servir de la réflexion sapientielle pour tirer la conclusion que le devoir de la communauté envers Yahvé peut être mis en attente équivaut, (d’après le prophète), à faire pré- valoir “la sagesse” au détriment de la piété. Le raisonnement du peu- ple est semblable à celui d’Eve en Gn. iii 6 et l’opposé de ce qui est prescrit en Pr. i 7. Donc, le sens de la question rhétorique d’Aggée en i 4 est fondamentalement “est-ce que le temps est propice pour négliger l’honneur de Yahvé?” (cf. Ag. i 8). La remontrance prophé- tique (Mahnwort) qui suit, (Ag. i 5-11) est destinée à prouver qu’une telle perspective n’est en aucune manière sage. Toronto, Canada John Kessler 1 Certains maintiennent que seule une portion de la population est ici prise à par- tie, cf. Rudolph, KAT XIII/4 (Gutersloh, 1976), pp. 32-33; O.H. Steck, “Zu Haggai 1, 2-11”, ZAW (1971), pp. 355-379, mais la forme présente du livre, en adressant cette parole aux responsables, sous-entend par “le peuple” tous ceux qui leur sont assujettis, cf. Meyers-Meyers, AB (Garden City, 1987), p. 19; Petersen, OTL (London, 1984), n. 47. 2 La communauté post-exilique est appelée h‘m hzh (“ce peuple”). Dans ce contexte il s’agit d’une expression de reproche ou de mépris (cf. Ag. ii 14; Za. viii 11 ; Es. [ Page ] 558 v1 9 ss, Vlll 6, 12, lx 16, Jr lv 11, vl 19, 21, vu 16, 35, Dt lx 13, 27, xxxl 16, Jos v 7) 3 L’accompli ici équivaut a l’aoriste gnomique du grec, il vise un fait qui se repro- duit, ou une experience frequente, GKC § 106k 4 La critique textuelle du v 2 est importante pour notre discussion, surtout a cause de la repetition du mot cle ‘t dans le TM Dans notre traduction nous acceptons les grandes lignes de l’argument de Barthelemy, Critique Textuelle de l’Ancien Testament, Tome 3, (Fribourg/Gottingen, 1992), pp 923-24 Nous avons retenu le TM avec sa double mention de ’t La triple repetition de ‘t en deux vss (deux fois au i 2, une au i 4), correspond bien au but rhetorique de l 2-11, ou la notion du temps occupe une posi- tion centrale, cf Meyers-Meyers p 20, Amsler, CAT XIc (Geneve, 1988), p 19, n 3, Steck, “Zu Haggai”, pp 361-362, n 21 Le sujet de b' (par consequant a l’inf cs), n’est pas ‘t mats, sous-entendu, le peuple comme au v 14 't suivi de l’inf cs s’emploie souvent quand le texte veut associer une activité a un moment (Qo ni 2-8, Gn xxlx 7, 1 S xl 1) Cette construction donc se retrouve deux fois d’affilee au i 2 le moment de venir, le moment d’être reconstruite Le fait que Jerusalem paraît peu habitée a l’epoque vient a l’appui de cette traduction Les rapatries habitant plutôt les ul- lages environnants, il fallait “venir” a Jerusalem, cf Barthelemy, Critique Textuelle, p 924 et C E Carter, “The Province of Yehud in the Post-Exilic Period Soundings in Site Distribution and Demography”, dans Second Temple Studies, Vol 2, sous la direc- tion de T C Eskenazi et K H Richards, (Sheffield, 1994), pp 129, 133-35 Cependant il faut noter que même si on accepte la traduction traditionnelle “le temps n’est pas encore venu” (Petersen, Meyers-Meyers, Verhoef, Rudolph), notre argument retient sa force 5 Sur l’etat du temple, voir PR Ackroyd, Exile and Restoration (Philadelphia, 1968), p 25, A Gelston, “The Foundations of the Second Temple”, VT 16 (1966), pp 232- 235, S Talmon, IBD[S] sv “Ezra and Nehemiah”, p 319, Petersen, pp 88-89, et Meyers-Meyers, p 39 Le livre d’Aggee presuppose un temple dont la refection reste a achever Cela suffit comme vecteur du “drame” oui est au centre du livre 6 I Wellhausen, Die kleinen Propheten ubersetzt und erklart (Berlin, 1898), p 173 7 Janssen, E , Juda in der Exilszent Etn Beitrag zur Frage der Entstehung des Judentums, FRLANT 69 (Gottingen, 1956), p 78 8 Steck, “Haggai”, pp 375-376 L’argument de Steck se fondait sur le fait que seuls les non-exiles (et non les rapatries) possèdent des maisons Cette prise de position est basee sur l’avis de K Galling, Studien zur Geschichte Israels un persischen Zentalter (Tubingen, 1964), p 56, que Zorobabel et les rapatries ne sont arrives qu’en 521-520 Sans entrer dans le detail, on peut dire que ni l’argument exegetique, ni la reconstitution historique ne sont suffisamment convaincants pour une telle delimitation d’auditoire Cf J W Whedbee, “A Question-Answer Schema in Haggai 1 The Form and Function of Haggai 1-9”, dans Biblical and Near Eastern Studies, Melanges W S LaSoi, sous la direction de GA Tuttle (Grand Rapids, 1978), p 187 9 RG Hamerton-Kelly, “The Temple and the Origins of Jewish Apocalyptic”, VT 20 (1970), pp 1-15 Voir surtout la p 12 ou il situe cette opposition a l’interieur de la communauté des rapatries 10 G von Rad, Théologie de l’Ancien Testament, 2 t, Nouvelle Sene Theologique (Geneve, 1967), t II, 2eme partie, section H Il faut noter que von Rad n’attribue pas 1’opposi- tion du peuple a sa position theologique 11 O Ploger, Theokratie und Eschatologie, WMAT 2 (Neukirchen, 1959) 12 Hamerton-Kelly, “Temple and Origins”, pp 8-11 13 Ibid, p 11 14 Ibid, pp 4, 7-8, 12-14 Il faut préciser que d’apres Hamerton-Kelly, la vision ezechiehenne decrit “le veritable temple celeste”, qui serait revele au moment voulu, [ Page ] 559 au jour ou il descendrait sur la terre L’opposition au projet de reedification était due au fait que ce groupe croyait qu’aucun effort humain n’etait necessaire pour sa reali- sation (p 4) Le groupe sacerdotal par contre, croyait que bien que ce temple se trou- vât aux cieux, il incombait au peuple de Dieu d’en construire une repliqué ici-bas 15 P D Hanson, The Dawn of Apocalyptic (Philadelphia, 1975) 16 Ibid, pp 90-95 17 Ibid, pp 93-95, 225 Morton Smith a la difference de Hanson, situe cette oppo- sition entre le “parti syncretiste” (prêtres et laïcs, majorite non-exiles) et le parti “Yahweh alone” (prêtres et laics, majorite rapatries) dont le dirigeant etait Zorobabel, Palestinian Parties and Politics that Shaped the Old Testament (New York, 1971), pp 108-110 18 Hanson, Dawn of Apocalyptic, p 244 s Nous notons en passant que Meyers-Meyers, p 10, estiment qu’Aggee aurait prône la reedification du temple dans le desir d’achever le projet avant l’echeance prevue par Jeremie Nous trouvons cette suggestion dou- teuse, primo, car elle n’explique pas le mobile du refus de la part du peuple et secundo, car elle est sans appui textuel 19 P R Bedford, “Discerning the Time Haggai, Zechariah and the ‘Delay’ in the Rebuilding of the Jerusalem Temple”, dans The Pitcher is Broken, Memorial Essays for G W Ahlstrom, JSOT Supp 190, sous la direction de S W Holloway et L K Handy (Sheffield, 1995), pp 71-94 20 Te repondrai en detail aux arguments de Bedford dans un article futur 21 Wolff BKAT 14/6 (Neukirchen, 1986) p 24 22 Jb xxll 16, Pr xv 23, Qo m 2-8, vll 17, vlll 5-6, cf THAT sv "'t”, p 377, BDB 2b, Amsler, p 22, et J R Wilch, Time and Event (Leiden, 1969) 23 Voir G von Rad. Israel et la Sagesse, (Geneve, 1971k p 162 s 24 Jouon § 124d, GKC § 114b, BK Waltke, et M O’Connor, An Introduction to Biblical Hebrew Syntax (Winona Lake, 1990), § 36 2 1 c 25 Barthelemy. Critique textuelle, t 3. pp 923-24 et la discussion dans note 4 subra 26 Aggee puise le raisonnement de son discours dans la theologie deuteronormste Son vocabulaire evoque surtout des notions presentes dans les maledictions de Dt xxvlll ***** This is the end of the e-text. This e-text was brought to you by Tyndale University, J. William Horsey Library - Tyndale Digital Collections *****